L'Islande… synonyme de photographie de « paysages naturels », douce, calme, vaporeuse, reposante, zen, là où l'Homme et la nature fusionnent avec un profond respect mutuel… NON, NON et NON !!! L'Islande, comme tant d'autres destinations, ce n'est pas cela ; ce n'est, de fait, certainement pas ce que mes trois photos suivantes veulent pourtant faire croire, tout comme les miliers d'autres photos vomies chaque minute sur les plateformes sociales comme 500px, Flickr, etc.
Alors pourquoi avoir réalisé de tels clichés ?

Réponse courte :

J'ai été influencé, il faut savoir reconnaitre les choses… Nous sommes tellement inondés de photographies qu'il est difficile de ne pas être influencé par les phénomènes de mode (oui, car entre nous, l'explosion actuelle de la photographie de paysage en pose longue, c'est tout simplement un GROS phénomène de mode).
N'ayant jamais été en Islande, j'avais curieusement(…) plein de visuels en tête : ces photos que l'on voit partout, toutes différentes et pourtant toutes identiques…
L'excellente chose pour moi, c'est que ce voyage en Islande aura été le parfait élément déclencheur pour sortir de ce carcan. Trop tard certes, car il m'aura fallu presque attendre la fin du séjour pour vraiment mettre le doigt sur le sentiment désagréable que je vivais à chaque prise de vue en pose longue.

Ma vision de l'Islande (et partiellement, de la photographie de paysage) :

Je le reconnais, la photographie de paysages en pose longue donne une esthétique souvent agréable aux sujets ainsi capturés. Le rendu est reposant, doux, lisse, un sentiment de plénitude incontestable s'en dégage. Il y a une sorte d'adoration au sein de nos civilisations « connectées », un besoin de rencontre avec la Nature, d'abandon de tout, etc. En voyant ces clichés, on se dit : « J'aurais tant aimé — vivre — ça ». Il y a même un certain sentiment de jalousie qui se dessine à l'encontre de ce photographe chanceux, qui a pu, lui, être présent à cet instant, — au cœur de la Nature —. « Et si seulement je vivais sur place, quel paradis ! À défaut, si seulement j'avais les moyens, si seulement mes photos avaient la notoriété de celles que je vois, si seulement… ». — Notoriété —, oh le Grand Mot, ce besoin de reconnaissance si superficiel…

Oui mais voilà, l'Islande, ce n'est pas ça. L'Islande, c'est du RAW si vous voulez que je vous la décrive façon photo. C'est brutal, violent, agressif. Pourtant, elle n'en est pas moins belle ! C'est le théatre d'affrontements de titans, la glace, le feu. Le sol vient d'y naître, il n'y a pas un endroit où vos pieds ne s'appuient sur des graviers et morceaux de lave brute. La mer y est si déchainée que l'idée même de s'y retrouver happé est saisissante (ou devrait l'être… On a vu quelques gros bofs de touristes que ça n'a manifestement pas effleuré, malgré plusieurs balayages successifs). Le vent y est un ennemi constant. S'il ne vous glace pas, il tentera de vous battre au sol, de vous cingler et fouetter tout le corps accompagné de son ami Sable. Ces éléments vous font prendre conscience à chaque instant que vous n'êtes rien, tout au plus tolérés dans cet environnement.

Certes, ce n'est pas ainsi tout le temps. Pour autant, une photo en pose longue, dont on sait qu'elle va lisser tout mouvement, peut-elle témoigner de cette nature ? Je ne le pense pas. Vous qui me suivez, vous devez commencer à connaitre mon travail et mon souci de produire des traitements précis et souvent fidèles à la réalité (tout du moins, la vision que j'en ai). Je n'arrive donc pas — très personnellement — à apprécier le rendu de ces trois photographies. Oui, c'est agréable, c'est reposant, c'est esthétique, mais ce n'est pas ma réalité. Ce n'est pas ce que j'ai vécu et de fait pas ce que je veux transmettre.
La pose longue garde du sens, mais désormais pour moi à une toute autre échelle :

  • Un océan n'est pas calme, il y a des vagues, de l'écume, des creux, des explosions, des impacts. Lisser cela ne revient qu'à fausser toute la réalité de l'instant. Et si d'aventure une mer d'huile s'offrait à mes yeux, nulle nécessité de lisser le moment par une pose longue car pour le coup, la réalité serait bien là.
  • À des échelles moindres et sur des sujets plus spécifiques par contre, les poses longues ont à mon avis un peu plus d'un intérêt. Un petit caillou entouré d'eau ; de l'écume qui va créer un sens de lecture à la photo en s'écoulant autour d'un rocher ou, de manière globale, ce qui va donner une idée de vitesse. Généralement, dans ces cas de figure, les temps de pose sont moins élevés.
What Else?

Pour certains de mes clichés actuels d'Islande, c'est désormais trop tard, mais dorénavant, mon travail photographique va se refocaliser sur ce qui finalement me touche vraiment : retranscrire fidèlement ma vision de la réalité. Dans des conditions telles que celles-ci, une pose lente (de l'ordre de 1/30s) permettra de donner un mouvement aux impacts de l'eau et apportera tout le dynamisme nécessaire à l'image.

Ci-dessus, une illustration des conditions de prise de vue. J'ai failli passer à l'eau trois fois en me déplaçant tant les rochers étaient glissants (je n'aborde pas le fait de caler le trépied !) ; le niveau de l'eau m'est arrivé sous les genoux à plus d'une dizaine de reprises, les embruns et la pluie, aidés par le vent, me poussaient à essuyer la lentille toute les 15s, etc.
Que reste-t'il de cela sur les photos ? Voyez-vous quoi que ce soit de calme, doux, zen, sur la photo ci-dessus ? Pourtant, n'est ce pas ce que les trois clichés ci-dessous laissent simplement imaginer ?

Rivages d'Akranes
Le phare d'Akrane